Nous sommes, à en croire les médias, les marques, et plus largement les gens, victimes de la mode du « développement personnel ».
Il suffit de taper l’expression section « actualités » de Google pour se donner une contenance quand on sort une généralité pareille. C’est vrai, quoi, voyez le nombre et la diversité d’acteurs qui abusent de cette expression, accolée à des thématiques aussi variées que Jésus, le cheval, la migration, les études supérieures, le voyage, la psychologie, toussa toussa.
Quand on évoque le développement personnel, on entend une pratique, voire un mode de vie. Une sorte de discipline à laquelle on s’inscrirait comme à un cours de sport, dispensé par soi-même, pour soi-même, pendant un temps assez long (faut le temps de se développer, quand même). C’est suffisamment fourre-tout – neutre à positif (on parle de développement, pas de régression personnelle) – pour flatter l’imagination collective. Bien sûr, les pas rigolos décrient une nouvelle mode individualiste – pour faire plus punchy, on dirait nombriliste – voire élitiste : le développement personnel est une pratique de nantis qui n’ont d’autres soucis que d’entretenir leur bien-être, aussi bien physique que psychique. Qui a le temps de se lever à 5h du matin pour passer une heure à se développer personnellement en lisant des livres ou en allant faire un jogging ? Cette personne. Oui mais les autres ? Oui mais MOI ?
C’est une façon de le définir. Mais si l’on se penche un peu sur les termes, franchement, les gars, l’expression développement personnel n’a ni queue ni tête. Le cycle de la vie même est un développement personnel, puisqu’on évolue biologiquement de la naissance à la mort. Dans ces cas-là, ce n’est plus une pratique de nantis, mais tout simplement celle de la *attention spoilers* vie.
Quitte à s’accorder sur une expression validée par la FFDP (trop lol, ça fait filles et fils de pu…) – fédération française de développement personnel -, autant lui donner également un cadre réglementaire précis. Dans ce cas, il faudrait définir son degré d’intensité pour être considéré comme tel : quand je me lève le matin, est-ce que je me développe personnellement ? Quand je lis Chomsky, est-ce que je me développe mieux que lorsque je relis les bédés de Titeuf dans les toilettes ? Quand je vais aux toilettes… enfin vous voyez.
Le fantasme du développement personnel va avec, selon mon humble avis, celui autour de la méditation et ces autres pratiques « feel good » vantées dans la presse magazine mais-pas-que. A noter avant de poursuivre : je fantasme moi-même sur la méditation et ces activités (kiffe ta chambre feng shui), donc je m’auto-tire une balle dans le front (pour être polie).
Un collègue disait l’autre fois : on ne sait plus s’ennuyer. Ont suivi tous les clichés sur les enfants et ados qui ne savent plus jouer avec un bout de ficelle comme savaient le faire les enfants de l’ancien millénaire. Puis une autre affirmation : on ne sait plus s’ennuyer. A ça, j’ai répondu : du coup on médite. La méditation, c’est la sublimation de l’ennui. En le professionnalisant (comme une activité codifiée, avec ses figures d’autorité plus ou moins volontaires), on lui donne un côté sexy car inédit et intellectuel.
J’en reviens aux torturés psychologiques, ces développés personnellement qui sont au cœur des critiques, parce qu’ils sont auto-centrés ; le symptôme d’une déconnexion entre ceux qui ont de vrais problèmes et les autres ; des niais qui croient avoir inventé ce qui a toujours existé (autrement dit la vie) : tout va bien. Ce n’est pas grave.
Que faire sinon sourire lorsqu’on trouve extraordinaire de tenir un potager et de manger sa propre tomate cerise (#Innovation) ? Que faire sinon tapoter l’épaule de celui ou celle qui télécharge une appli de développement personnel pour se sentir maître(sse) de sa vie (#UnAgenda) ?
Le développement personnel a, au pire, multiplié les joggeurs dans les parcs le dimanche matin. C’est chiant quand les chemins sont sinueux, et j’aime pas trop les tenues fluos qui tâchent le paysage, mais on s’en remettra. Il les fait même courir pour des causes humanistes – parce que pour se développer personnellement, il faut aussi être ouvert sur les autres et généreux.
Ce qui me gêne profondément, avec ces pratiques, ce sont les dérives autour des formes d’accomplissement de soi. Parfois – souvent -, on croirait qu’il ne suffit plus de cultiver ses tomates cerises, de planter un jasmin d’hiver et d’aller courir pour l’UNICEF. Il faut avoir et réaliser ses « rêves »… *burp*